Légendes de Marie Cantin Germain

--- soumises par Gemma Cantin Boucher

Légendes:

Misère et Pauvreté

Comme d'habitude ce matin-là elle passa par la boutique de forge de son mari Misère et lui dit:

- «Viens-tu à la messe aujourd'hui dimanche?»

- «Non ma femme, tu sais bien que j'ai pas le temps. J'ai du travail...»

- «Tant pis, moi j'y vais.»

Dans l'après-midi, à la boutique de forge, arrive un grand diable. C'était facile à voir avec ses cornes et ses griffes et ses petits diablotins.

- «On vient juste te saluer en passant, te dire bonjour. On faisait une promenade avec mes jeunes...»

- «Assis-toi,» lui dit Misère.

Et les petits de fureter partout, ils allèrent en arrière de la maison où Misère avait un beau prunier chargé de fruits presque mûrs. Ca grimpe dans l'arbre et remplissent leurs poches. Ce qu'ils ne savaient pas c'est que c'était un arbre ensorcellé, comme la chaise où était assis le grand diable. Donc impossible de se lever sans la permission de Misère, et lui continue de travailler comme si de rien n'était. Le grand diable et les diablotins eurent beau faire tous les efforts possible, pas capable de se décoller. Misère les laissa aller jusqu'a la noirceur. Ca sacrait, Ca braillait,... et quand Misère décida de les laisser aller, le grand diable y laissa la moitié de la peau de son fessier, collée sur la chaise, et les petits, leur fond-de-culotte et plus... un terrible souvenir. Misère riait dans sa barbe, et le chien grondait d'aise. Ce forgeron avait son chien qu'il appelait Pauvreté, parce qu'il était vraiment laid, maigre, vilain poil, etc.

Une semaine plus tard passe un autre grand diable. Cette fois il était seul. - «Je viens te dire bonjour!»

Il se méfiait bien d'aller s'asseoir.

- «Tu travailles fort Misère, moi aussi. Chacun son travail...»

- «Mais dis-donc, es-tu capable de te rapetisser?»

- Ah oui, je fais ce que je veux ou presque.»

- Eh bien, fais-toi petit comme une souris.»

- «Tu m'en demandes pas mal...»

Il commence à se tortiller, et devint pett comme une souris.

- «C'est bien. Veux-tu essayer de rentrer dans mon sac à tabac?»

Il était à l'ancienne, en cuir et fermé avec des cordons. Et la souris rentre dans le sac de Misère, et vite celui-ci ferme le sac, prend son gros marteau de forge et tap, tap, tap sur tous les bords. Inutile de dire que ça sacrait la-dedans.

- «Laisse-moi sortir Misère!»

Et il continuait à taper... tap, tap, tap... Le diable avait été ensorcellé par Misère qui lui dit:

- «Vas-tu me ficher la paix toi et tes pareils?»

- «Qui, oui, c'est promis!»

Et il finit par le laisser partir. Une fois de plus Pauvreté grondait d'aise, car il n'aimait pas ces visiteurs-là.

Mais à quelques jours de 1à, le grand-boss vient lui-même rendre visite à Misère en se disant:

- «Je ne me laisserai pas prendre.»

- «Eh bien, viens t'asseoir!»

Le chien grimagait.

- «Ah non, juste un bonjour en passant.»

Et Misère sortit son violon, qui lui aussi était ensorcellé. Et il se mit à jouer, et le grand diable à danser, danser, danser... Impossible d'arrêter. Essoufflé, tout en sueur, il bavait et disait:

- «Arrête Misère, arrête...»

Et mon forgeron de continuer pendant des heures. Quand il le laissa aller, il avait les pieds en sang. Il se promit de ne pas revenir et de ne pas en envoyer d'autres chez le forgeron Misère. Et la vie continue, mais celui-ci devenu plus vieux, mourut un jour. Et suivi de son chien Pauvreté, il alla frapper à la porte du paradis. Saint-Pierre lui dit:

- «Je crois que tu te trompes de porte. J'ai pas ton nom dans mon grand livre. Tu n'allais pas à la messe du dimanche, et tes prières?...»

Pourtant Misère aurait aimé y entrer. Ca sentait les bonnes crêpes... Mais Saint-Pierre le rejette:

- Vas chez le diable, j'ai pas ton nom ici! Et de plus, pas de chien au paradis.»

Donc il alla frapper à la porte de Lucifer. Toc, toc, toc. Une grosse porte de fer qui s'ouvre. En voyant Misère et son chien, ça part à crier la-dedans:

- «Pas lui ici!»

Et les petits diablotins d'aller se cacher en arrieère des meubles. Et la porte se referma. Bang, bang! Il était fatigué et même si ça sentait les patates brûlées et le souffre, il aurait aimé se reposer et son chien aussi.

Et voilà pourquoi aujourd'hui, Misère et Pauvreté, se proménent un peu partout pour jusqu'à la fin des temps.

--- Marie Germain


La barrette de M. le curé

Un soir du mois de novembre, vers les années 1850, un joyeux groupe de jeunes gens, filles et garcons, revenaient d'une réunion. En passant devant l'église du village, ils virent un prêtre qui se promenait sur le perron de l'église, semblant lire son bréviaire.

- «Est-ce qu'on lui joue un tour?» se dirent-ils.

Une jeune fille de la bande dit: (ils étaient en voiture)

- «Passez tout près du perron et quand il passera près de nous, je lui vole sa barrette (le chapeau d'un prêtre en service).»

Et c'est ce qu'il firent. Ils continuèrent joyeusement leur chemin. ..ça chantait, ça riait. Rendue chez elle, la jeune fille tira la barrette du prêtre dans un coffre au pied de son lit. Mais elle ne pouvait pas s'endormir, ça semblait marcher dans le fond du coffre et elle entendait une voix qui disait:

- «Rendez-moi ma barrette...»

Le lendemain matin, elle a peine à se lever, elle a la mine toute défaite. Sa mère lui demande:

- «Qu'est-ce qu'il y a ce matin? Es-tu malade?»

Il a bien fallu qu'elle raconte à sa mère ce qui s'était passé...

- J'ai assez peur, c'est pas croyable!»

Et bien après reflexion sa mère dit:

- «On va aller demander conseil à M. le curé.»

Et c'est ce qu'elles firent. Le bon curé leur dit:

- «Je ne vois qu'une solution: tu vas aller remettre la barrette à ce prêtre et le plus tôt possible, ce prêtre était peut-étre en pénitence.»

- «Impossible, j'ai trop peur.»

- «Tu vas rappeler ton groupe, ils vont t'aider. A peu près à la même heure, vous passerez là et tu lui remettra la barrette. Le lecon va être dure, ma fille, mais ça va t'ôter ta peur.»

Et on s'organisa pour y aller à la même heure, onze heures et demi du soir. Et oui, le prêtre se promenait sur le perron de l'église. Ils ont du soutenir la jeune fille tellement elle avait peur et sa mère est allée avec eux. Le prêtre a dit:

- «Merci, il me fallait ma barrette.»

On lui a demandé:

- «Pourquoi êtes-vous là?»

- «Eh bien voila: étant enfant de choeur, j'avais 14 ans... Un jour on s'exercaient seulement des jeunes... j'ai mis la soutane du prêtre, sa barrette, et j'ai monté en chaire où seulement les prêtre avaient le droit d'aller. Et je leur ai fait un sermon dans mon langage... on a bien ri. Mais c'était se moquer du prêtre. Au jugement dernier, il me fallait aller me promener sur le perron de l'église de onze heures à minuit avec les vêtements du prêtre. Et il aurait fallu que j'y retourne jusqu'à ce que ma barrette revienne. Merci! Merci! Ma pénitence est terminée. »

--- Marie Germain




Rose Latulipe

Rose Latulipe était une jolie fille très joyeuse qui aimait beacoup le plaisir, la société, les danses, ce qui n'était pas trop bien vu par le clergé. Ce soir-là, il y avait danse chez ses parents. Un peu en retard, arriva un beau jeune homme. On lui souhaite la bienvenue, le maître de maison fait quelques présentations, en particulier sa fille Rose, et la danse continue. Chose un peu curieuse, le jeune homme ne veux pas enlever son chapeau, ni ses gants. Il dit qu'il ne peut pas être trop longtemps, son attelage l'attend dehors (cheval et voiture). Et la veillée continue. Rose accepte toutes les danses du jeune homme qui lui fait beaucoup de compliments:

- «La belle, la douce»

Il lui dit: - «Tu devrais jeter ce collier que tu portes au cou, Ca ne va pas du tout à ta personnalité.»

Il y avait une petite croix attachée à ce collier, elle hésite et fini par l'enlever et le déposer sur la tablette. La grand-mère qui est dans sa chambre, la porte entrouverte, se berce en égrenant son chapelet. Et à chaque tour de danse que le joyeux couple passe devant la porte de la chambre, le jeune homme lui fait la grimace. Rose l'a remarquée et n'aimait pas trop cela, car elle aimait bien sa grand-mère. Et de plus, le jeune homme lui serrait les bras, et même à travers ses gants, ça la brûlait presque. Durant ce temps des gens ont affaires à sortir dehors et voient la neige fondue en-dessous du cheval ou il y avait deux pieds de neige. On rapporta ça au maître de la maison. Comme c'était pas normal, il s'inquiète et envoie avertir le curé qui arrive avec son eau bénite. Il asperge l'assemblée. Du coup, mon jeune homme fonce à travers le mur qui est en pierre, non sans avoir laché quelques sacres et laissé une odeur de souffre et une trainée de fumée. C'était le diable en personne. La monture, tout a disparu. Il n'avait pas ôté son chapeau car on aurait vu ses cornes et de même ses gants cachaient ses griffes. Rose sauta au cou de sa grand-mère en pleurant.

- «C'est votre chapelet qui m'a sauvé! et l'eau bénite a chassé l'intrus!»

A l'avenir Rose fut plus prudente, et les plaisirs modérés.

Cette histoire s'est passée dans la Beauce, dans une belle région de la province de Québec et aucun maçon n'a été capable de réparer la brêche dans le mur de pierre. Voilà l'histoire que ma mère nous racontait quand nous étions jeunes, et c'était véridique!

--- Marie Germain




Cordélia Viau

Cordélia Viau était une jeune femme élégante et toujours bien mise, du fait qu'elle était aussi couturière... Très jeune, elle épousa T. Poirier plus âgé qu'elle, lui a 40 ans, elle en avait 24. Il était menuisier de son métier, demeurant dans le village de St-Canut où il avait une maison, un cheval et une voiture pour ses déplacements, étant obligé de s'éloigner pour son travail.

Un jeune homme nommé Samuel (Sam), du même village que lui, allait avec lui pour du travail... ou sinon allait aider Mme Cordélia qui se mettait les mains dans l'eau le moins possible. Elle disait qu'elle avait le «rif», aujourd'hui on dirait eczéma. Il lavait les planchers, la vaisselle, soignait le cheval, conduisait Cordélia au village où elle allait pratiquer sa musique. Elle jouait de l'orgue à 1'église du village en toutes circonstances et Sam faisait partie du choeur de chant. Cordélia lui faisait faire tout ce qu'elle voulait, il était un peu bonasse dit-on.

Tous ces rendez-vous, ça faisait parler les gens du village. Elle reçevait des visiteurs, sa spécialité étant de coudre des pantalons d'hommes! Parait-il qu'elle avait une manière de placer la lampe à la fenétre qui indiquait à Sam qu'elle était seule et pouvait le reçevoir. Et il pouvait même entrer par une fenêtre en arrière de la maison que les voisins ne voyaient pas! Dans un petit village, les gens sont au courant de tout. On trouvait qu'elle avait trop souvent de visites et spécialement celle de Sam. On la rapporta au curé qui la connaissait bien puisqu'elle était sa musicienne paroissiale. Il leur dit de se mêler de leurs affaires.

Quand même, il dit à Poirier:

- «Tu devrais amener ta femme avec toi quand tu vas travailler au loin. Ca empêcherait les gens du village de parler.»

Celui-ci avait une grande confiance à sa Cordélia, et puis il fallait pas laisser la maison sans chauffer, etc., etc. et puis elle avait de l'aide?...

Et Sam avec Cordélia projettent de faire disparaitre Poirier. Ce n'était pas facile. Ils en ont discuté souvent. Poirier aimait bien la boisson. Un jour, aprés l'avoir saoûlé, de connivence, ils lui ont coulé du plomb fondu dans une oreille avec un entonnoir. Le lendemain matin, Poirier était mort. On avait pourtant projeté d'aller le porter à l'écurie dans les pattes du cheval, pour faire croire à un accident, mais on l'a pas fait. (Je ne sais pas au juste pourquoi on l'a pas fait?) Imaginer un peu les racontars au village!

Il y eût enquéte et ils furent arrétés. Recherches, procès, ça a duré un an et demi. En cour, on se gênait pas (les curieux) pour aller dire à l'oreille de Cordélia «Tu vas payer». Il furent accusés et condamnés à êre pendus. Peu de journaux circulaient dans ces années-là. Les plus en moyen reçevait une gazette une fois par semaine, mais quand même les nouvelles finissaient par circuler.

Elle dit à son procès:

- «Ce n'est pas moi qui aimait Sam, c'est lui qui m'aimait.»

Lors de leur pendaison en mars 1899, Sam avait perdu la raison. Depuis quelques semaines les autorités avaient peur qu'il meurt en prison. Pour se rendre à la potence on a du lui aider, le soutenir à deux. Cordélia y a marché la tête haute.

Pour mieux désigner à la population que tout crime est puni, on a mis le cadavre de Cordélia dans une cage en barreaux de fer pour trois jours. On a attaché la cage à une branche d'arbre, à une fourche de chemin. Le dimanche aprés-midi, un citoyen (en voiture d'hiver) qui en revenant du village faire baptiser son bébé, avec parrain, marraine, porteuse, en passant à cet endroit prend son fouet, en donne un coup sur la cage de fer en disant:

- «Cordélia, viens souper avec nous ce soir.»

C'était une farce drôle. Comme on se préparait à passer à table, chez ce citoyen avec les visiteurs, la porte s'ouvre subitement: Cordélia apparaît avec sa cage de fer sous le bras et dit:

- «Tu m'as invitée à souper, j'y viens!»

Imaginez la frayeur... La maman qui est au lit, entend et crie à son mari: - Viens chercher le bébé, c'est un ange. Elle va sûrement avoir peur.

Et c'est ce qui arriva. La porte se referma d'elle-même, comme elle s'était ouverte. Le souper fut plutôt calme.

Et voilà tel que ma mère nous racontait, l'histoire de Cordélia Viau en 1899 - année oû elle fut pendue. Ma mére avait à ce temps 15 ans à cet événement.

--- Marie Germain


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